Ce n'est pas la fin de l'année pourtant.
Serait-ce la période active et tendue du bilan du 1er semestre au boulot qui me poursuit ?
Ou un chaos de plus dans ces six premiers mois de 2010 qui m'amène à faire le point !
Pas terrible cette année 2010 !
Une cinquantième bougie que je peine à souffler, un cambriolage qui me prive des preuves matérielles de mes souvenirs dorés, une collègue arlésienne qui augmente ma charge de travail, un crabe qui me squatte, me grignotte et m'interdit toute liberté ensoleillée, cette solitude lancinante et ce soir un fiasco musical que je ne sais plus comment gérer. Rester positive ? J'ai du mal !
Dernière audition de l'année.
Mon Petit Bout a très bien joué.
Lorsque ce fut mon tour et que j'ai étalé mes 8 pages de partition je pensais ne pas faire pire qu'au concert précédent où pour ce même morceau j'ai pas mal cafouillé même si les bons passages étaient vraiment bien. Sur 8 pages on arrive à en trouver quelques uns !
Je n'ai pas dépassé la 2e mesure ; il y en a 210... Ce 3e mouvement de la Pathétique de Beethoven que je joue depuis presqu'un an, que je connais sur le bout de doigts. J'ai essayé, réessayé : les doigts refusaient d'aller plus loin. J'ai tenté de les feinter et de sauter quelques mesures mais ils ont été les plus forts et ont refusé la supercherie.
J'ai plié mes 8 pages, j'ai descendu les marches sous les applaudissements d'encouragement, j'ai attrappé mon joli sac Longchamp, j'ai dit aux filles que je les attendais dehors (il restait 3 ou 4 élèves à passer) et je me suis réfugiée dans ma voiture. Ce n'était pas vraiment la honte ou le ridicule. C'était plus que ça : un anéantissement.
Lorsque les filles sont arrivées, j'ai démarré sans un mot, nous sommes rentrées à la maison, j'ai allumé la TV et me suis vautrée devant une série. Mes filles ont respecté mon besoin d'isolement.
Ce n'est pas qu'une question de trac. Si je devais monter sur la même scène pour parler, j'aurais le trac sans doute ou tout au moins le coeur qui bat et les premiers mots seraient peut-être un peu faibles mais je pourrais garder le contrôle et enchaîner vers une progression
Assise devant le clavier c'est comme si tout ce que je retiens, encaisse, contrôle, domine jour après jour faisait obstacle soudainement à la liberté de jouer. Je ne pense pourtant pas à tout cela en image concrête, c'est au delà de ma réflexion. Respirer, penser aux notes, aux gestes cent fois répétés : rien n'y fait pour repartir.
Dans la voiture entre les larmes qui coulaient et une certaine passivité ou plutôt de l'abattement j'essayais de faire le point, d'analyser et de prendre une décision.
Continuer ? Pour quoi faire ?
Lors de la précédente audition, déçue, je m'étais dit que c'était fini, plus de concert. Mais est-ce un reste de fierté (ou d'arrogance) je ne voulais pas m'avouer battue. Pourtant là, en repliant la partition je renonçais. Symboliquement il y avait l'intention de renoncer à d'autres choses. Baisser les bras, pour tout. Ma prof m'a chuchotté de revenir jouer, j'ai préféré prendre la fuite.
Continuer ? Pour quoi faire ?
Je me pose beaucoup trop cette question. Je ne devrais pas avoir à me la poser.
A chaque coup dur, je change mon fusil d'épaule et je repars au combat mais je n'y crois plus.
Je me crée des petites victoires : un petit bloc de patch par-ci, une petite broderie par-là, un petit potager pour croire que ça en plus je saurai le gérer. Mettre la barre plus haut. Pour épater qui ? Pour me donner un but, pour me forcer à avancer ?
Ma collègue part pendant l'été et donc à la rentrée il y aura une nouvelle personne à former en plus du retard à rattrapper
Je fais bonne figure mais pour corser la chose, ma seconde collègue (la standardiste) reprend des études dans le cadre d'une formation totalement rémunérée avec la conservation de son poste au cas où. Une aubaine et elle aurait tors de ne pas en profiter mais la rentrée scolaire c'est septembre et un poste de plus à combler et à former.Après un mois d'août seule pour trois postes où le retard va s'accroitre je prévois un mois de septembre difficile. J'encaise avec le sourire en me disant (pour me forcer à le croire) que je vais y arriver. Je m'étais dit pendant ma convalescence que j'allais lever le pied. Mais comment faire ?
Et puis ces vacances qui devraient être comme une pause et que je vois arriver avec apréhension.
Pas de baignade (eau salée sur la cicatrice + soleil), pas de pause lecture sur la plage ou alors sous la lune avec la frontale : les filles vont aller seules à la plage : quelles drôles de vacances. Penser à faire du vélo avant 10h ou après 17h ou alors pédaler avec un parasol. Quand on campe et aime la vie de plein air, les UV sont difficiles à éviter. Vivre habillée moi qui passe l'été en paréo c'est trop dur.
Bien sûr il y a des contraintes plus graves que ces cache-cache au soleil. Une paralysie à gérer serait sans conteste plus lourde. Mais les grandes misères des autres n'en soulagent pas pour autant mes petites.
Alors je me dis que si c'est pour tirer l'aiguille autant rester à la maison; il y aura moins de choses à gérer. Mais il y a les filles ; ailleurs je suis plus disponible qu'à la maison où j'ai toujours une occupation.
Cette année sur mes trois semaines de congés je n'aurai pas un petit moment rien qu'à moi, alors que je n'aspire qu'à ça. Etre totalement seule.
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
Ces vers de La Conscience de Victor Hugo sont exactement ce que je pense. J'ai découvert ce poème en 4e avec une prof de français géniale (et il fallait qu'elle le soit pour me faire aimer cette matière, moi la matheuse !) et j'ai aimé. J'ai aimé de façon abrupte sans forcément tout comprendre. De la même façon que j'ai aimé Antigone de Jean Annouilh. Les mots se coulaient en moi sans que j'ai besoin de réfléchir à leur sens.
Bon je m'égare.
Pour en revenir au piano, je pense que jouer en public c'est me mettre à nu. C'est faire tomber toutes mes défenses, toutes ces barrières que j'errige autour de moi pour faire croire que je suis la plus forte, que je maitrise. Est-ce pour offrir ce visage sans fard (moi qui en mets pourtant si peu) que j'insiste à me retrouver derrière les touches ? Mais pour y gagner quoi puisqu'à chaque fois c'est un échec ? Ou alors me démontrer que lorsque je ne me cache pas derrière un faciès de convenance et d'éducation je ne suis rien et que c'est pour cela que j'aspire à retourner me cacher.
Peut-être y a-t-il aussi un problème de toucher ? Mardi j'ai vu un neurologue pour un problème d'engourdissement des 4e et 5e doigts de la main gauche et de ce pouce qui bouge parfois tout seul depuis quelques mois. Pour les deux doigts j'ai en effet un endommagement du nerf cubital et il n'y a rien à faire si ce n'est "d'éviter au maximum la position fléchie du bras traumatique" !!! Pour le pouce le spécialiste n'a rien trouvé et a semblé presque mettre en doute mes sensations. Je pense pourtant avoir une certaine idée de mon toucher avec les années de piano. Comme il y a également une douleur progressive dans le bras qui limite de plus en plus mes mouvements je vais retourner voir mon médecin. Peut-être que les soubressauts de mon pouce en découlent.
Mais cette déficience manuelle n'est pas la cause de mon fiasco.
Normalement tout à l'heure c'est à dire samedi après-midi, il y a un autre petit concert chez ma prof de piano entre adultes. Je ne sais pas si je vais y aller. Ne pas y aller c'est trouver les mots pour expliquer à ma prof. J'étais déjà déçue pour elle tout à l'heure, je vais encore en rajouter. Je sais qu'elle se rangera à ma décision même si elle essayera de me faire changer d'avis. Il y a aussi la volonté de me punir, d'ajouter ce manquement à mon échec.
Continuer ? Pour quoi faire ?
Je pensais que le mois de juillet me verrait reprendre une activité physique mais j'ai des sensations douloureuses dans la cuisse lorsque je marche normalement, alors marche sportive voire jogging ? Pourtant je suis sûre que bouger ne pourrait qu'être profitable à ce moral que je peine à garder à flot. Reste la piscine découverte du village voisin qui devrait réouvrir. Le soir une fois que le soleil se cache derrière les nuages et... accepter les regards (le mien en premier !) sur la cicatrice.
Il paraît que la nuit porte conseil mais il est presque 3 h et je n'arrive pas à m'endormir. J'espérais mettre mes idées en place en tapotant sur ce clavier où je peux effacer les erreurs si facilement !
Cela ressemble plutôt au mur des lamentations...